Ode à la volupté thermique

Chauffer le corps ou la pièce ?

Les différents transferts de chaleur
Il nous paraît tout à fait normal aujourd’hui de chauffer uniformément nos pièces à une vingtaine de degrés. Mais il existe en réalité bien d’autre façons d’accéder au confort thermique, toutes basées sur trois types de transferts de chaleur : la convection – le fait de chauffer l’air -, la conduction – chauffer les corps – et la radiation – chauffer par ondes électromagnétiques -.
Les anciennes méthodes de chauffage domestique étaient essentiellement basées sur la radiation et la conduction, deux méthodes de transfert moins gourmandes en énergie que la convection, aujourd’hui très courante. En effet, cette dernière nécessite de chauffer chaque millimètre carré d’une pièce, alors que les deux autres méthodes transmettent directement la chaleur aux individus. Ainsi, l’énergie dépensée à chauffer une pièce dépendait plus du nombre de personne la fréquentant que de son volume, se qui permettait de chauffer les églises sans trop de difficultés par exemple.
La chauffe par conduction transfert la chaleur aussi bien dans les gaz que dans les solides. Ainsi, tout corps plus chaud que l’air qui l’entoure transmettra sa chaleur à l’air le plus proche par conduction. De par lui-même, l’air est un excellent isolant thermique, c’est même la base des isolants. Cet effet serait donc très limité si l’air à proximité des corps chauds, en chauffant, ne s’élevait pas dans les airs, en étant instantanément remplacé par de l’air frais, créant un courant d’air. Cet effet décrit la convection. C’est ainsi qu’un radiateur électrique (appelé aussi convecteur) à bain d’huile arrive à chauffer toute une pièce sans ventilation mécanique.
La radiation, troisième type de transfert de chaleur, fonctionne de façon très différente : par onde électromagnétique, comme la lumière. Comme elle, elle n’a pas besoin de matière, comme l’air, l’eau, ou la pierre, pour transmettre sa chaleur. C’est ainsi que le soleil nous transmet sa chaleur malgré le vide de l’espace. L’énergie radiante n’a pas de température en soit. C’est lorsqu’elle rentre en contact avec de la matière que celle-ci fini par chauffer. 

La Californie de nos intérieurs
L’utilisation massive du chauffage central et des systèmes de climatisation nous a persuadé que le confort de nos intérieurs dépendait principalement de la température de l’ait de la pièce. Or, de multiples échanges thermiques ont lieu en permanence entre nos corps et leur environnement extérieur : des effets de convection ont lieu entre notre peau et l’air l’affleurant, des effets de radiation ont lieu entre notre peau et les surfaces environnantes, des effets de convection ont lieu entre notre corps et nos fenêtres mal isolées, et des effets de climatisation sont causés par l’évaporation de notre peau.
Ainsi, nous pourrions évoluer dans des ambiances thermiques tout aussi confortables, mais plus riches, en baissant la température ambiante et en multipliant la part de chaleur transmise par radiation ou conduction.
En effet, une température de l’air ambiant de 19 ou même 21°C n’est pas forcément gage de confort optimal. Un carrelage ou un mur froid peu même, par effet de conduction, rendre une pièce susceptible de causer des rhumes et des sources d’inconfort à répétition. À l’inverse, une tasse bien chaude, un tapis ou un fauteuil chauffant peuvent être source d’une grande sensation de confort, par ses mêmes effets de conduction.
De même, nous pouvons nous retrouver à transpirer en t-shirt à la montagne, alors que l’air ambiant est à une température négative, et qu’il nous faut nous couvrir d’une grosse combinaison une fois à l’ombre, à deux mètres de là. Cette différence est due à l’énergie radiante des rayons du soleil tapant directement sur notre corps, ou juste après avoir été réfléchi par la neige.
Les systèmes de chauffage radiants compensent donc une température ambiante extérieure basse par une chaleur radiante plus élevée, alors que les systèmes de chauffage par convection compensent le manque d’énergie radiante par un air ambiant à température élevée. 

Notons que dans la nature, l’énergie radiante est toujours accompagnée d’un phénomène de convection. L’air ayant une masse très faible, le soleil ne peut le chauffer directement : l’énergie radiante est absorbée par la surface terrestre, qui transmet ensuite sa chaleur à l’air ambiant par convection.
La chaleur radiante est donc toute indiquée dans un environnement intérieur. Un système de chauffage par rayonnements infrarouges chauffe toutes les surfaces d’une pièce, peau humaine comprise, apportant un confort thermal optimal à une faible température ambiante. Mais cela ne fonctionne que dans un environnement clos, le moindre courant d’air annulerai rapidement l’effet.
Un système de transmission uniquement radiant n’existe donc pas : la surface radiante et la surface irradiée sont en contact avec l’air, qu’ils finissent par chauffer par conduction et convection. Il en est de même pour les systèmes de chauffage central, qui finissent par chauffer les surfaces après avoir chauffer l’air ambiant.

Et comme la conduction, la radiation peut être source d’inconfort lorsqu’elle est mal usitée : lorsque l’on se trouve dans une pièce bien chauffée, mais adossé à une paroi ayant une forte conductivité thermique, comme un mur peint légèrement humide. Notre corps va alors transmettre sa chaleur à ce dernier par radiation, se qui provoque une sensation d’inconfort.

En résumé que se soit par radiation ou par conduction, les transferts de chaleur peuvent être source d’inconfort lorsqu’ils sont mal utilisés.

La meilleure façon de garantir un environnement thermique optimal consiste à se fier à la « température effective », une moyenne pondérée entre le transfert radiant et celui de convection.

Les anciens procédés de chauffe.
Avant l’avènement du chauffage central au vingtième siècle, la plupart des logements étaient chauffés par un système radiant, comme une cheminée ou un poêle à charbon. Généralement, une seule pièce était équipée, mais une multitude de différents systèmes de chauffage essaimait l’habitat, en fonction de notre localisation et de l’usage exact que nous avions d’un emplacement du logement. Il existait ainsi une multitude de micro-climats, tous parfaitement adaptés à leur utilisation. 

Si nous avions fait ce choix, c’est aussi pour économiser de l’énergie. En effet, l’énergie thermique radiante décroît au fur et à mesure que l’on s’en éloigne, par phénomène de dispersion.

Ce phénomène est bien illustré par les deux schémas ci-dessus, adaptés de l’ouvrage de Richard Watson « Radiant Heating and Cooling Handbook ». Le dessin de droite représente le « paysage radiant » – la distribution de la chaleur dans une pièce – d’une salle chauffée par un système radiant ventilé dont la température effective (la moyenne pondérée des échanges de chaleur) est de 20°C. Si l’on met de côté l’influence de la fenêtre mal isolée en haut de l’image, la température radiante est à peut prêt la même dans l’ensemble de la pièce.

Le schéma de gauche représente quand à lui la même pièce, mais munit d’un système radiant cette fois-ci sans système de ventilation. Il s’agit d’un système de panneaux dégageant des ondes infrarouges, une nouvelle technologie que nous détailleront plus loin, mais une cheminée aurait eu un effet similaire. Le paysage radiant est maintenant complètement différent : la température radiante la plus élevée est mesurée au centre de la pièce, au dessus du panneau émetteur. La température baisse ensuite rapidement en cercles concentriques jusqu’aux murs de la pièce. La différence entre la température minimale et la température maximale de la pièce est bien plus importante que dans le premier cas de figure.
Dans un système de chauffage par l’air, l’endroit où vous vous trouvez dans la pièce importe peu, alors que dans un système radiant, la localisation des individus fait tout.
Bien entendu, si nous avions placés nos sources de chaleur à un autre endroit, ou si nous l’avions combiné à d’autres sources de chaleur, le paysage radiant aurait été tout autre. De même, dans le cas de la radiation solaire par exemple, la position du mobilier à son importance : leur ombre influe sur le paysage radiant de la pièce.
Dans le cas d’une pièce chauffée par un système central radiant, la température générale peut être optimale alors qu’à certains coins clés de la pièce la température ressentie peut être inconfortable. Mais l’inverse est aussi vrai : la température générale peut être trop basse, alors que les coins stratégiques de la pièce sont parfaitement chauffés.

Le cas des grands espaces

L’air chaud, plus léger, à tendance à s’élever par rapport à l’air frais, jusqu’à se réfugier dans les combles et sous les toits. Mais l’énergie radiante n’étant pas transmise directement à l’air mais aux aux corps et aux surfaces, il s’agit du seul vecteur de chaleur pouvant chauffer le raz du sol. Au lieu de chauffer l’intégralité du volume d’air d’une pièce, nous pouvons grâce à se procédé ne chauffer que les parties usitées, se qui est bien entendu bien plus efficace énergiquement. C’est pourquoi ce type de chauffage est toujours autant utilisé dans les églises et sur les terrasses parisiennes en hiver.
À moins de se trouver dans une salle exiguë, seule une petite partie de l’énergie utilisée par un système à air chaud chauffera effectivement les corps habitants l’espace. 

La limite des micro-climats domestiques
L’un des problèmes majeurs des anciens climats intérieurs hétérogènes étaient l’asymétrie des radiants, soit les différentiels de températures radiantes entre des parties distinctes d’un même corps. Une personne assise en face d’une cheminée recevra une quantité suffisante de chaleur radiante sur la partie exposée de son corps, alors que la partie de son corps à l’ombre du feu irradiera sa chaleur aux parties froides de la pièce. Ce corps peut être thermiquement équilibré – la perte de chaleur d’un côté est contrebalancée par l’excédent de l’autre côté – mais si le différentiel de température est trop important, des situations d’inconfort ou même des pathologies peuvent apparaître.

L’isolation localisée
Comme le montre cette gravure de banc munit d’un dossier ajustable, nous pouvons chauffer uniformément un corps en alternant systématiquement les parties exposées. Lorsqu’une face du corps a été correctement réchauffée, il suffit de retourner le dossier afin de pouvoir exposer la face opposée. L’asymétrie des radiants peut être accentuée par la fraîcheur des parois souffrants d’un grand manque d’isolation et de fuites thermiques, c’est pourquoi nos ancêtres ont commencés à adjoindre un système d’isolation localisée pour accompagner les systèmes de chauffes localisés.
La chaise ci-dessus, qui pouvait être recouverte de cuirs ou de laine, est un bon exemple de système d’isolation localisée : elle expose correctement son utilisateur à une source de chaleur radiante, tout en isolant ses parties non-exposées des courants d’airs ou des parois froides de la pièce. Par la même occasion, la forme de ce mobilier concentre l’énergie radiante qu’il reçoit vers l’utilisateur, ce augmente grandement le rendement de ce type de chauffe. Des études récentes ont ainsi démontrés que ce type d’assise atteignait 0,4 clo., ce qui correspond à l’isolation que procure un pull en laine ou un manteau. D’autre fauteuils à capuche pouvaient accueillir plusieurs individus.

Le mobilier isolant
Afin de créer des micro-climats confortables, exempts de radiants asymétriques ou de courants d’airs, nos aïeux ont développés une typologie de mobiliers isolants.
Le paravent d’hiver, par exemple, isolé par du tissu ou d’épais panneaux de laine, étaient placés derrière un fauteuil ou une table. De la même façon que l’assise à capuche, le paravent isolait la personne proche d’une source de chaleur des surfaces froides environnantes, créant un micro-climat très agréable.
Un autre exemple pertinent serait certainement les espaces aménagés autours des cheminées. Il peut s’agir de simples bancs positionnés entre le feu et les parois de la cheminée, ou bien d’une niche creusée dans le mur, disposant d’assises sculptées dans la masse. Dans tous les cas, l’utilisateur peut s’installer près du feu, tout en étant protégé des surfaces froides et des courants d’airs inconfortables. Il existe même des cas de figure où le foyer de la cheminée était cantonnée à une petite pièce au sein d’une plus grande. Les chambres, souvent démunis de systèmes de chauffage propres, disposait elle aussi d’un meuble générateur de micro-climats : le lit à baldaquin et ses draps et rideaux épais. Lorsque ses derniers étaient tirés, le corps pouvait chauffer l’espace, alors protégé des courants d’airs.

Les chauffages portatifs

Les points négatifs de l’isolation localisée se manifestent bien entendu par les potentielles situations d’inconfort ressenties lorsque l’on se trouve à la marge des points de chauffe. Autrefois, une famille ne se retrouvait autours du feu qu’après une dure journée passée dans le froid, ou lors des moments de détente partagé. Le reste de la pièce, non chauffé, était adapté aux usages qui lui sont propres, et qui nécessitait beaucoup d’énergie et donc peu de chaleur ajoutée. À cette époque, changer de pièce signifiait changer de climat, changer d’atmosphère, pour trouver celle qui correspond exactement à nos besoins et desideratas.

De plus, il existait des systèmes de chauffe et des systèmes d’isolation portatifs permettant de rendre un espace temporairement approprié à un usage auquel il n’était pas destiné. Ils se focalisaient essentiellement sur les mains et les pieds, deux parties du corps particulièrement sensibles aux baisses de température. Il s’agissait d’une boite munie de un ou plusieurs caissons perforés, contenant des soucoupes métalliques ou de terre cuite, remplis de braises issues de la cheminée. Ainsi, le poêle à pied permettait en Europe de se réchauffer exclusivement les pieds, après une bonne journée passée dans la gadoue givrée. De même, dans une quantité de cultures autours du globe, de nombreux systèmes de chauffe furent développés pour se réchauffer les extrémités. Il s’agissait généralement d’un objet fait de métal ou de céramique, dans lequel nous venions déposer des braises issues de la cheminée. Cela permettrait également de pouvoir profiter de la chaleur du feu domestique hors de chez soi, en en emportant un peu dans nos déplacements : on en emmenait notamment dans les annexes non chauffées, lors de nos déplacements en calèche, ou le dimanche à la messe. Les plus pauvres se contentaient alors de prendre avec eux une pierre ou une patate chaude, glissée dans leur manteau. Nous pouvons également encore trouver dans de vieilles demeures paysannes un autre système de chauffage portatif : la poêle à literie, constituée d’un cylindre en cuivre ajouré sur le dessus et d’un long manche en bois. Il accueillait dans sa partie en cuivre de la braise, afin d’être passé sous les matelas pour les réchauffer. Certains lits à baldaquin étaient même équipés d’une coupelle suspendue accueillant une lampe à pétrole en leur centre. Heureusement, le IXXº siècle est arrivé avec la démocratisation de l’eau courante dans les foyers, offrant un médium de transmission de chaleur bien plus sûr qu’un feu vif. Ses systèmes, essentiellement basés sur une typologie « récipient céramique + eau chaude », souvent recouvert de draps, étaient utilisés comme chauffe-main, chauffe-pied ou ou chauffe-lit. 
Mais certains adoptaient des stratégies plus radicales, comme les Japonnais et leur « Kotatsu », une table basse amovible reposant sur un poêle à charbon. Généralement, un tissu épais ou une couette surmontait le tout, ainsi toute la famille pouvait littéralement glisser les pieds sous la table, afin d’être très confortablement réchauffé : la chaleur passait par les jambes, pour sortir par le haut du corps, les kimonos assurant la transmission de chaleur au dessus des jambes.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*